Philippe Martinez, secrétaire ­général de la CGT, appelle à la «riposte» et à «amplifier la ­mobilisation» contre les projets du ­gouvernement.
Que pensez-vous du projet de loi sur la réforme du code du travail ?
Que du mal… Ce texte constitue un ­recul historique pour les droits des salariés, un retour en arrière comme on n’en a jamais vu. Je dirais même un ­retour au XIXe siècle. Il suffit d’ailleurs de voir les acclamations du Medef pour mesurer le niveau de régression que ce texte représente pour les salariés. A tel point qu’on peut se demander si ce n’est pas le patronat lui-même qui a écrit le projet.
Vous avez pourtant été consulté…
Il n’y a pas vraiment eu de concertation. Nous n’avons vu la ministre que deux heures et avons pris connaissance du texte dans la presse… Il nous a été envoyé, dans sa dernière version, dans la nuit de mercredi à jeudi. Pour un gouvernement qui vante le dialogue social…
Quels points vous gênent le plus ?
Il y a notamment trois points que je voudrais évoquer. La durée du travail, tout d’abord. Dans ses vœux, le président de la République avait répété qu’il ne toucherait pas aux 35 heures. Or, de fait, quand on permet des dérogations dans chaque entreprise à la durée ­légale du travail, c’est une remise en cause des 35 heures. Elles restent le principe mais plus la règle. Deuxième point : l’officialisation de l’inversion de la hiérarchie des normes, autrement dit la primauté quasi systématique donnée à l’accord d’entreprise par rapport à la branche, voire à la loi. Le code du travail ne sera plus qu’un petit livre qu’on posera sur une étagère et qu’on consultera quand on ne saura pas quoi faire. Et la règle de droit s’appliquera de façon totalement différente selon les entreprises, violant ainsi l’égalité des salariés devant la loi. Troisième point : la non-justification des licenciements économiques, ou plutôt la justification apportée par l’entreprise uniquement [sans que le juge ait son mot à dire, ndlr], qui, même sans difficultés, pourra proposer une restructuration.
Et le référendum, c’est plutôt une avancée, non ?
Sauf qu’il a lieu à l’initiative des syn­dicats minoritaires. A la CGT, nous ­sommes pour la consultation des salariés, mais pas sous la forme du chantage, comme on l’a vu chez Smart, où c’est ­l’employeur qui détient les clés en menaçant de fermer la boîte en cas de réponse négative. Aucun gouvernement n’accepterait qu’un groupe de députés minoritaires puissent exiger un référendum sur une loi qui a été repoussée et que le résultat lui soit imposé.
Etes-vous surpris que ce projet émane d’un exécutif de gauche?
Moi, je juge sur les actes, pas sur la couleur politique. Or quand je vois que le patronat applaudit ce texte des deux mains, que c’est la droite qui est la plus encline à l’adopter, je me dis que le Président a tourné le dos à ses promesses de campagne, qu’il a choisi son camp. Cette majorité continue, voire accélère, la politique menée par la ­précédente tout en allant au-delà des ­espérances du Medef. Tout cela appelle une riposte.
Vous ne pensez pas qu’assouplir le code du travail puisse favoriser les embauches ?
La volonté d’aménager le code du ­travail n’est pas nouvelle. Le père de Pierre Gattaz [le patron du Medef] tenait déjà ce genre de discours dans les ­années 80. Et depuis, la droite l’a largement fait. Pour quel résultat ? Six millions de chômeurs. Et c’est cette voie que l’on nous propose de poursuivre ?
Vous parlez d’une riposte… Sous ­quelles formes ?
On est train de se réunir, de réfléchir, à la fois au sein de la CGT, mais aussi avec les autres centrales. Il y a déjà de nombreuses mobilisations dans les entreprises, il faut arriver à les conjuguer sur les salaires, l’emploi, les services publics, et bien sûr contre ce texte.
Pensez-vous réussir à mobiliser ? N’est-ce pas parce que la CGT est trop faible que le patronat parvient à pousser ses pions ?
La récente journée d’action des fonctionnaires a été forte et, jeudi, dans le secteur de l’énergie, on a atteint des ­records de grévistes. Le vrai problème, c’est plutôt que les salariés ont peu d’occasions de croiser des syndica­listes. Un salarié sur deux ne voit même jamais de syndicaliste. La répression syndicale pèse aussi sur la mobilisation. Quand vous infligez neuf mois de prison ferme à des syndicalistes, cela n’incite pas vraiment à se bouger. Mais nous allons mettre tout en œuvre pour amplifier la mobilisation.
Luc Peillon