10 mai 2020

interview

BAKOUNINE


Comme vous n'êtes pas censés le savoir, je suis pas du tout un spécialiste du D-Beat. Comme tout le monde, j'aime les skeuds de Discharge , enfin, ceux avant qu'ils commencent à faire du metal pourri, hein! Mais ça s'arrête là… Y'a de ça 3 ou 4 ans, on m'a filé le split Bakounine / Dispose, et bizarrement, j'ai carrément accroché à la face Bakounine… Et le CD « Ten years of boudoume » qui compile tous leurs skeuds a ensuite bien tourné chez oim, aussi. Va savoir pourquoi ! De la farce, j'attendais leur nouveau disque avec impatience et j'ai donc été bien content lorsque ce « Is there any point in this ? » est sorti l'année dernière : comme d'hab', c'est du D-Beat, donc, traversé d'influences plus délibérément Hard-Core. Perso, je trouve qu'ils ont toujours un petit côté Poison Idea circa « Kings of punk » mais c'est plus du domaine du ressenti subjectif qu'autre chose ! Et sur ce nouveau skeud, ce qui m'a attrapé l'oreille c'est qu'avec un chant moins hurlé et une production très carrée, plusieurs titres se rapprochent finalement vachement des trucs les plus speeds du « UK 82 », One way System en tête. Allez écouter « Ugly france 2019», c'est un tube évident ; et le reste du LP déménage aussi !
Donc voilou, j'ai décidé de poser quelques petites questions à ces Bretons, parce qu'en plus, leurs paroles sont vraiment bien branlées, plus perspicaces et moins stéréotypées que la plupart de celles des groupes dits « politiques ».
Merci donc à Ronan aka la guiche, Manu aka bechamel, Jérôme aka ake, et Guéna aka garci pour leurs réponses… ya pas que les stéphanois qui ont des surnoms, dic donc, dis donc !


Plus de dix ans d'existence, c'est quoi la motivation pour continuer,avec les changements de line-up et tout ça ?
Ronan:Je crois que la motivation est d'avant tout de se faire plaisir et de passer du bon temps entre potes...Si avec ça on peut, apporter un peu de soutien à des causes où des gens qui nous touchent, c'est cool aussi.Après neuf ans (pour ma part), on arrive toujours à se fendre la gueule (et à se prendre la tête aussi) en tournées, c'est sûrement un peu difficile les premiers temps pour les derniers arrivés, mais après quelques temps, c'est pas les derniers à rentrer dans la connerie on va dire. On peut dire qu'on continue à faire notre truc de notre côté sans trop se prendre au sérieux.
Manu : Ben écoutes moi ça fait moins longtemps que je suis dans le groupe mais je suis très content d’y être ! La motivation principale c’est de jouer et tourner avec mes potes. C’est cool parce que je les vois pas si souvent, on est tous éloignés, Guéna vers Rennes, Jérôme à quintin, la guiche en Euskadi et moi dans les Monts d’arrée, on se voit pas souvent… Alors faire Bakounine ça fait qu’on passe du temps ensemble parce qu’on est potes avant toute chose ! J’aime bien chanter dans bakounine parce qu’on joue pas forcément pour les même gens qu’avec Litovsk, parce que je kiffe faire un truc plus punk musicalement, c’est pas la même ambiance en tournée non plus… J’aime les deux groupes de manière égale, je recherche pas la même chose dans les deux groupes sinon ça n’aurait pas de sens. Bakounine on rigole bien, on se prend pas au sérieux, c’est souvent la grosse kermesse dans le van, surtout quand on est avec tonton Lucas et la broc de USA LA TUA RABBIA et nos acolytes de tournée comme Muzulin notre driver fou ou Daweed sur la dernière tournée. Bref moi ce que cherche en faisant tout ça c’est rencontrer des gens, voir des lieux chouettes, passer du temps avec mes amis et si le bruit qu’on fait plaît à des gens et peut contribuer à soutenir des luttes avec les concerts de soutien ben c’est tout bénèf…
Jérome : Le groupe existe depuis bientôt 15 ans. Malgré les changements de line up, ce qui caractérise Bakounine c’est l’esprit de famille. Nous sommes très proches et très soudés entre nous. Les personnes qui ont rejoint le groupe en cours de route sont des supers potes. Nous avons toujours privilégié l’humain à toutes autres considérations. Nous sommes toujours aussi heureux de nous retrouver et je crois que c’est la principale raison de cette longévité.
Guéna : Il me semble que l’essentiel a été dit : l’amitié, passer du temps ensemble, retrouver  des ami-e-s et rencontrer d’autres gens et lieux, puis s’amuser. J’ai fait mon apparition dans Bakounine à la fin de l’album pour faire quelques pistes de basse, puis j’ai enchaîné avec la mini tournée début juillet, et la tournée jusqu’en république tchèque en août, 4000 km en une semaine ;..whouah, ce qui était presque un challenge, avec peu de sommeil et beaucoup de fête. Cela dit, on est déjà amis depuis longtemps, et le fait de les accompagner dans la tournée en espagne/portugal en octobre 2016 a eu une influence sur le fait que j’intègre Ostavka puis Bakouine. C’est comme une suite logique sur fond d’amitié.

Définissez votre concept de « boudoume » pour les béotiens que nous sommes !
Ronan:Le terme boudoume remonte à mes débuts dans le groupe...C'est parti d'une blague. Disons qu'un morceau boudoume, est un titre court et rapide.
Jérôme : C’est parti d’un délire complètement con pendant l’enregistrement de notre seconde démo en 2012. Nous nous sommes mis à délirer sur le nom de groupe Children Of Bodom. Techniquement parlant on est tellement perrave qu’on s’est dit qu’avec nous dans ce groupe ça serait plutôt children of boudoume. Voilà comment on en est arrivé à jouer du boudoume. Y’a pas vraiment de concept…du boudoume c’est du D-Beat.

Sur votre dernier skeud, j'ai trouvé que certains titres s'éloignaient un peu du cadre hyper normé du D-Beat. C'est voulu ?
Ronan:Je pense qu'on n'est jamais rentrés dans ce cadre hyper normé du d-beat....Selon moi on n'a jamais vraiment été un clone de Discharge ou Disclose....on a pas forcément des riffs qui sonnent comme ces groupes là, et nos textes sont plutôt éloignés. Si on affectionne tous le d-beat, on doit reconnaitre que c'est un genre qui n'évolue pas....Pourquoi parler de guerre sur tous les morceaux, si ça ne correspond pas à notre réalité ? Je pense qu'on a été influencés tous plus ou moins par le hardcore des années 80 qu'il soit d beat ou non,anglais, italien, suedois....La liste est longue.
Pour info, vu qu'on parle du dernier disque, on peut dire qu'il à été fait dans des conditions un peu spéciales....Etant donné que je me suis éloigné géographiquement depuis deux ans et demi maintenant, on ne peut pas avoir un rythme régulier de répètes sachant que je me trouve à 1000 km du reste du groupe. Jérôme m'envoyait des idées que j'écoutais, on s'est mis d'accord sur des structures, et on a répété les titres tous les deux deux fois avant d'enregistrer, soit environ 4 heures, tu vois à quel point on est des bosseurs! La batterie a été enregistrée fin 2018, le reste en 2019. N'étant pas présent aux autres sessions, j'avais aucune idée de ce qu'allait chanter Manu par-dessus. Flo a décidé de quitter le groupe début 2019, et Guéna est arrivé peu de temps après
Manu : Ben je pense que comme dit la guiche c’est pas voulu dans Bakounine d’être un clone de Discharge ou Totalitar même si on raffole du d-beat… On écoute aussi beaucoup de punk anglais des années 80 et de hardcore de ces années là… C’est aussi du au fait que je me suis rendu compte que j’avais du mal à crier tout le temps alors j’avais plus envie de chanter en mode punk que crust ou d-beat beuglé haha. Du coup on a adapté la musique !
Jérôme : Je pense au contraire que ce skeud est du D-Beat classique sans aucune originalité dans les structures de morceau. C’est un parti pris qu’il nous a été un peu imposé aussi. Ce disque est vraiment particulier pour plein de raison. L’éloignement géographique du batteur, le bassiste qui stoppe l’aventure musicale (après 9 ans dans le groupe)…on va dire que ce nouveau contexte nous a poussé à sortir un nouveau disque très rapidement…comme si l’avenir du groupe en dépendait. Ce disque n’aurait jamais du voir le jour. Il est le résultat d’une période un peu chelou ou il a fallu trouver un nouvel équilibre. Perso je l’aime beaucoup ce disque. L’arrivée de Garci à la basse est le meilleur truc qui pouvait nous arriver. Si tu additionnes la dose de connerie de chacun on peut dire qu’on est au summum de notre carrière.
Guéna : Les morceaux étaient déjà composés lorsque je suis arrivé mais si on regarde toute la discographie du groupe, je trouve que c’est une suite logique, on constate bien l’évolution, c’est un peu comme un glissement dans quelque chose de plus punk et finalement plus efficace. Les textes sont aussi très bien et sont critiques des carcans habituels du punk, qui n’a cessé de se cloisonner en genre et sous-genre, se collant un imaginaire « radical » derrière des attitudes et postures. Du coup, tout en ayant des idées dites « radicales », on essaye aussi ne pas trop se prendre au sérieux et savoir rire de tout ça.



Vous abordez dans ce dernier skeud le thème des réseaux sociaux, avec en sus une pochette qui taille les punks « super connectés » ou sur facebook : comment les punks peuvent prétendre être « différents » s'ils utilisent les mêmes moyens de « communication » pérraves que le premier admirateur de Macron venu ?
Ronan: Bonne question, j'avoue que j'ai du mal à comprendre des fois cet intérêt pour les réseaux sociaux....Internet nous à apporté des trucs cool, mais c'est aussi le reflet de toute la connerie humaine. J'ai l'impression que de nos jours les gens veulent absolument tout commenter et tout montrer de leurs vie....Au fond qu'est ce qu'on en a à foutre de leurs vies et/ou opinions? Ce besoin de tout filmer, de tout documenter....Apparemment c'est de plus en plus difficile de monter des tournées sans facebook, mais comment ça marchait avant?
Manu : Bon déjà je dirais qu’on a tous et toutes des contradictions dans ce milieu ou cette « scène punk »… Payer des péages ou de l’essence chez total à longueur de journée en tournée c’est pas vraiment alternatif haha. Mais bon je crois que l’essentiel c’est d’essayer tant bien que mal de réduire ces contradictions entre le discours et les pratiques. On est loin de se considérer comme des punks irréprochables qui ont tout compris à la vie haha. Mais ouais on avait quand même envie de jeter un petit pavé dans la marre du punk aujourd’hui même si l’audience de Bakounine n’est pas celle de Tragedy ou d’un groupe hype barcelonais du coup ça touche moins de gens haha. En fait je comprends toujours pas comment la scène punk « diy » ou politique était engagée contre myspace et a adopté facebook aussi facilement…  Je jette pas de pierre à mes potes qui utilisent facebook ou instagram et tous les gens qui l’utilisent ne l’utilisent pas de la même manière. C’est juste que ça me fait marrer les groupes punks politisés qui envoient quinze mille photos d’eux en tournée à grand renforts de hashtags, « wahou on mange des cupcakes vegans youpi ! » ou « on enregistre un nouveau clip, work in progress » enfin bref je comprends pas le délire… pour moi ça s’apparente à des stratégies commerciales, « teaser » le public comme on dit. Sur l’organisation de concerts, ça a coupé pleins de liens et ça exclut plein de gens qui n’utilise pas les réseaux sociaux, c’est assez dingue… On est des fois au courant d’une tournée d’un groupe qu’on aurait aimé faire jouer 3 mois après l’annonce de la tournée hehe.  Et puis y’a une vraie dérive vers le carriérisme et le management, je pète un plomb régulièrement avec les tourneur-euses qui se prennent pour des pros alors qu’ils-elles sont sensé-es être dans le « diy », « alors ça fera 500 euros en semaine ou 800 le weekend » mais de qui on se fout là ??? Pareil pour les labels… enfin y’a mille raisons de gueuler contre l’usage pervers de ces outils aliénants…
Jérôme : Sur 10 titres il y’en un seul qui traite réellement des réseaux sociaux. Le punk fait partie de la culture dominante…il faut arrêter de se raconter des conneries. Nos révoltes et nos revendications ne dépassent plus le cadre institutionnelle. Ce disque évoque aussi des sujets dont on ne parle pas souvent comme le handicap (Comment la société met les gens en situation de handicap ?).
Guéna : En effet, c’est curieux de constater à quel point Face de Plouc a submergé notre société, pour ne pas dire bouleverser notre rapport aux autres. Ainsi, le mouvement punk, qui se dit contestataire, s’est engouffré dedans sans tenter de développer des alternatives comme le réseau social Diaspora chez Franasphere. Alors maintenant, je trouverais intéressant de faire un pas de côté pour expérimenter cela et tenté de « dynamiter » FB.

D'ailleurs, vous en avez vu beaucoup, des « punks », dans la mobilisation contre la réforme des retraites, vous ?
Manu : Ben à Brest, parce que c’est là que j’allais aux manifs, y’avait des punks et des skins quand même aux grosses manifs contre la réforme des retraites. Après dans l’orga au quotidien du mouvement moins, mais bon les potes taffent pour la plupart et on est pas tous et toutes égaux vis à vis de la grève, moi je pouvais me le permettre en tant que salarié dans l’éduc nationale mais un pote mécano, lui c’était plus chaud par exemple. Après en france en général non je pense juste que le punk n’est plus une bande son pour la jeunesse politisée ou marginale. Les plus jeunes écoutent plus de rap actuel ou de la techno et c’est pas bien grave de s’en rendre compte, je pense que ce qui fait plus mal c’est de voir le désintérêt de la scène punk déjà existante pour la pratique politique. Mais cela dit faut pas non plus déconner, en france aujourd’hui il y a quand même pas mal des groupes qui portent un propos politique et dont les membres se retrouvent sur des luttes sociales. Les potes de lille, marseille, nantes, rennes,toulouse... Enfin un peu partout des gens s’investissent quand même dans ces luttes. A toulouse Stonehenge et d’autres on fait une compilation de soutien, à paris y’a eu des concerts en soutien aux grévistes… Je pense que oui malheureusement il faut quelque part accepter que le punk n’est plus « attirant » après ça empêche pas de voir des jeunes politisé-es en concert à brest parce que c’est un concert en squat ou de soutien du coup ça les expose au punk…
Guéna : Comme le dit si bien manu, il y a en effet des punks qui se rendent dans les manifs et/ou  participent d’une certain manière aux luttes sociales. J’ai toujours considéré que le punk ou l’anarcho punk n’était pas suffisant comme investissement, mais que cela se passait en dehors de la sphère musicale dont le rôle s’illustre souvent dans  l’accompagnement des luttes sociales, à travers des soirées de soutien et des textes engagés. Ce ne sont pas les paroles qui sont révolutionnaires mais les actions que celles-ci peuvent inspirer. Le mouvement punk portent des idées fortes, qui nous transforment personnellement et collectivement, après je ne pense pas que cela soit suffisant. Finalement aujourd’hui, l’implication de l’anarcho punk est surtout de faire de la subversion dans le milieu punk pour maintenir un certain degré de conscientisation et de réflexion sur un certain nombre de thématiques (antifasciste, antisexiste/féministe, végétarisme/véganisme, nucléaire, nouvelles technologie, contrôle social, etc.) et de comportements.

Vous avez pas un peu l'impression, dans le même ordre d'idées, que le punk actuel est complètement coupé de la réalité sociale ? Qu'il n'est qu'une panoplie de plus, un truc seulement esthétique ? Même pour certains groupes soi-disant « politiques »...
Manu : Ben j’ai un peu répondu à cette question dans mes réponses précédentes. Comme la guiche il y a des phénomènes de mode que j’ai du mal à cerner… Quand on voit l’engouement soudain pour la oi ! Française ou la oi ! En général par exemple, c’était drôle parce qu’ à brest on avait avec les potes l’impression pendant longtemps de passer pour des « has been » à écouter Blitz, Camera Silens et subitement c’était le son à la mode. Pareil pour le « Uk 82 », on est plusieurs à avoir toujours aimé One Way System, Varukers ou External Menace par exemple et c’était un peu un truc de péquenots pour les gens qui font les modes dans la scène punk et d’un coup bam !  Ça devient le son du moment ? Bref c’est à n’y rien comprendre… Je parlais plus haut des « labels » punk, j’ai de plus en plus de mal avec la manière de fonctionner de certains…. Il y a de plus en plus de refus d’échanger les disques, ça pinaille sur les prix, je me suis fais prendre pour un con avec un label basque qui me disait de vendre plus chère mes disques si je voulais échanger avec lui ?? Le mec il me disait « nan mais si tu veux faire 2 eps contre un lp il faut vendre tes disques plus chère nianiania », j’allais pas vendre des disques de Tatchanka (mes potes en plus) à 6,5 le ep, nan mais il a cru ou quoi ? Bref des fois j’en peux plus, les stratégies commerciales, le marketing punk… J’ai l’impression aussi que c’est facile pour des gens de prendre une période musicale du punk, son esthétique, son son et de le vider de sa substance… « oui moi je fais un groupe à la uk anarcho punk genre The Mob tu vois ? », par contre ton disque tu le vends à 15 pounds… Pareil quand je vois l’attitude de certaines distro en temps de covid-19 qui font des messages pour « rassurer les clients » et leur dire qu’elles continueront à envoyer et vendre des disques, ça me fait vomir, qu’un-e disquaire continue à vendre des disques ok mais une distro soit disant non-profit… tellement de choses à dire…
Ronan: Y'a encore heureusement tout un tas de gens de la "scène" qui se bougent pour des activités politiques....Vu d'ici, au pays basque,la scène punk est très liée à la politique , et y'a pas vraiment de gens très lookés. Pour ce qui est d'un point de vue musical, précisément en France, car c'est ce que je connais mieux, j'ai l'impression que tout est histoire de modes...Et j'avoue que souvent, j'ai bien du mal à capter l'intérêt des gens pour tel ou tel groupe.
Jérôme : Le punk est un consommateur lambda qui va peter un plomb parce qu’il n’y a plus de gel vivelle dop fixation béton à l’Intermarché de son patelin. Honnêtement je ne sais pas ce que veut dire le mot « punk ». En Bretagne il existe un grand festival « punk oi ! » organisé par une bande de fafs.  Pour tout te dire y’a même un paquet de groupes de programmés que j’aurais bien aimé voir en concert mais avec une orga comme ça c’est boycott direct. Tout le monde le sait que c’est des fafs de merde et beaucoup s’y rendent quand même. La musique passe clairement devant la lutte anti raciste/fasciste etc... Je n’excuse pas plus les groupes qui y jouent…business is business. Tu connais le punk crédule qui a un jour dit « keep business out of punk » ? Enfin bref je ne me sens pas punk (tellement ça brasse des pratiques qui m’exaspèrent) mais il m’arrive quand même de porter une jolie panoplie avec des patchs et des badges…j’ai plus que ça et mes quelques cheveux longs pour faire peur aux vieux qui habitent en face de chez moi.
Guéna : Force est de constater que le punk a perdu dans sa capacité résister au système capitaliste, commercial et aux phénomènes de mode. Le punk existe depuis 40 ans, son histoire est faite et je ne crois pas qu’on y changera grand-chose aujourd’hui. Cependant, je me dis que ça dépend toujours des personnes. Certaines personnes sont dans ce milieu pour les idées, d’autres pour la musique, je pense que nous c’est pour les 2, sans perde de vue ce qui nous anime profondément à travers l’implication qu’on les idées libertaires dans notre quotidien et dans notre approche du collectif. Par exemple, en Bzh, il y a quand même pas mal de lieux et de collectifs qui font vivre ce mouvement, constituant des réseaux avec cette idée de tendre vers « l’autonomie »  vis-à-vis des structures officielles, et des modèles capitalistes. D’ailleurs, j’aime à dire que le punk, en plus d’être la bande son de la révolution, est l’un des aspects culturels de l’autonomie. Je pense ici plus particulièrement au « mouvement anarcho punk » dans ses diverses expressions.



Habituellement, vous jouez quand même souvent : avec cette pandémie et le confinement, ça vous manque pas ?
Ronan : On ne joue pas très souvent, chose due à la distance géographique. On aurait dû faire quelques dates début juin mais c'est évidemment annulé. On n'a pas joué depuis aout 2019, la dernière tournée. A côté de ça, les autres ont tous d'autres groupes à côté, donc ils jouent plus régulièrement. Je n'ai plus d'autres groupes que Bakounine donc oui, ça manque, et surtout de partager du temps avec les trois autres! Mais ce n'est que partie remise.
Manu : Ben en vrai on joue pas souvent avec Bakounine haha Pareil pour moi avec Litovsk, notre dernière date c’était en décembre… On a un groupe avec jérôme et deux autres copains et ça fait chier de pas pouvoir profiter de ce temps pour répéter... Après oui moi ça me manque de voir les copains et jouer avec eux… Mais pour cette année j’avais plus de projets en organisation de concerts et ça me manque de voir des groupes jouer et d’être avec mes ami-es à brest et ailleurs parce que c’est ma famille enfin moi je le vois comme ça notre réseau de gens qui vont et font les concerts en bretagne…Et ailleurs ! Après y’a des trucs plus grave que de ne pas jouer ou aller à un concert c’est pas bien important au final et je m’en pleins pas…
Jérôme : Les autres membres du groupes me manquent beaucoup mais la musique pas plus que ça.
Guéna : J’ai juste hâte qu’on se retrouve et partir ensemble vivre un moment fort agréable. On reste tous en contact pendant ce confinement, qui je l’espère ne deviendra pas une norme car ce qu’il se profile n’est très réjouissant, avec le démesure du contrôle social, puis la limitation de la mobilité, le retour des contrôle aux frontières, l’interdiction des regroupements, la peur et la méfiance à l’égard des autres instituée par nos gouvernements. En tout cas, on  en va pas manquer d’inspiration pour raconter des choses.

Oui en fait quand je disais ça, je pensais au fait que vous avez plusieurs groupes… D'ailleurs, qui joue dans quoi en fait ?
Manu : Alors je chante dans Bakounine, Litovsk et un groupe sans nom avec Pascal mon cul, Jérôme et André, un autre pote. On fait une espèce de punk, grunge pop et on espère répéter bientôt pour jouer un de ces quatre ! J’ai d’autres projets qui verront peut être le jour plus tard ! Jérôme joue aussi dans KIAL ? (d-beat super véner), Usa La Tua Rabbia (grind punk aussi vénèr!), et jouait dans Ostavka (post punk) avec Ronan, Guéna et Nina. Ronan a un projet de groupe de punk hardcore au pays basque avec un pote de Sub Rats et Buter, un autre super pote de là bas. Guéna joue dans Cave Ne Cadas, du crust un peu stoner de Rennes.

D'ailleurs, j'y pense, mais si on se prend une récession économique poids-lourd dans la gueule, ça risque de mettre aussi une bonne tarte au modèle du groupe punk qui écume les squatts et bars de toute la planète... la fin de ce « tourisme punk », ce serait forcément négatif ?
Manu : Dur de répondre à cette question… Je pense qu’on contribue d’une manière ou d’une autre avec Bakounine ou Litovsk par exemple à ce tourisme punk dont tu parles après j’ai quand même l’impression qu’on essaye à minimum de partager et de rencontrer les gens chez qui on joue… Jouer en soutien à des prisonnier-ères dans un squats c’est quand même pas la même chose que de jouer dans un bar ou le tenancier en a rien à foutre du punk et l’orga ne partage rien avec toi nan ?
Mais oui des fois on peut se demander l’intérêt de tout ça, faire des tas de bornes pour jouer 30 minutes et repartir le lendemain est ce que ça créer une réelle rencontre ? Est ce qu’on a vraiment partagé un truc avec les gens qui nous ont accueillis ? Est ce que c’est pas un moyen pas chère de faire du « tourisme » que de tourner avec un groupe ? Je sais pas, j’ai pas vraiment de réponses… Toujours est il que moi je me sens plutôt bien avec ces contradictions. j’adore causer après les concerts aux gens, sans tourner y’a pleins de gens qui sont resté-es des ami-es après que je ne connaîtrai pas… Et puis j’ai vécu et j’ai encore envie de revivre ces moments là… Après oui le modèle de tournée où le groupe n’en a rien à carrer de l’organisateur/ organisatrice de concert, tout ce qu’il l’intéresse c’est de vendre du « merch’ » (je déteste ce terme d’ailleurs!), de se prendre en photo devant la porte de brandebourg ou la tour eiffel… oui si ça peut disparaître pourquoi pas haha
Ronan : J'ai du mal à croire que le virus viendra à bout de la scène punk...Mais bon, qui sait?
Jérôme : On a beaucoup de chance de faire des tournées partout en Europe. C’est génial de découvrir des villes, des  lieux et surtout de rencontrer des gens. Souvent j’ai l’impression que tout doit être politique, que tout doit être sérieux mais en vrai les tournées c’est les vacances et la rigolade. On a aussi le droit de se marrer et d’être débile. La vie est assez dure comme ça non ? Si je pars en tournée pour rester austères et à ne parler que de sujets graves alors je reste chez moi. Tous les groupes qui se la racontent avec une éthique irréprochables partent en tournée pour prendre du bon temps mais ça il ne  faut pas le dire pour la street credibility tout ça…
Guéna : c’est difficile de prédire ce qui pourrait advenir dans les temps post-confinement. La récession économique semble évidente, avec tout ce qui va l’accompagner comme  toute la panoplie,   lois scélérates au niveau du travail, de environnement, de la liberté des individus, de la santé, de l’éducation,  etc...Ce qui se profile ne semble pas très excitant mais on n’a pas la main dessus, ce n’est pas de notre ressort car ça nous dépasse largement à l’échelle individuelle.. On subit comme tout le monde. Cela dit, j’espère aussi qu’une colère générale  finira par s’exprimer et les temps prochains seront probablement agités. Puis j’espère également qu’on innovera pour redonner de la vigueur à cette scène qui vieillit en même temps que son époque, mais qui a du mal à se renouveler. 



C'est quoi le premier truc que vous ferez lors du déconfinement ?
Manu : Aller boire une bière à la place guérin avec mes ami-es à brest, répéter à TKDK dans le 22, voir mes ami-es que j’ai pas vu depuis longtemps…En vrai moi le confinement à la campagne, dans mon village c’est un confinement de privilégié-es ! Je peux aller marcher dans les collines, les sentiers, les bois, je croise pas les keufs… je vis dans une maison collective on est une douzaine là… Et puis on voit les autres potes du village… On fait des sound systems dans le jardin pour les voisin-es, de la radio,on a fait une petite manif à 30 le 1er mai, bon je vous raconte pas la situation surréaliste avec les bleus dans les sentiers à jouer à cache cache haha… Bref j’ai en pas chié et je suis conscient qu’on était à la cool ici...
Ronan: Etant côté espagnol, les regles de confinements étaient très strictes ici...Les seuls déplacements autorisés étaient pour le ravitaillement, travail, ou raisons médicales. La supérette est à 10m de chez moi. Depuis ce matin (2 mai) on est autorisés à sortir pour faire du sport ou marcher. Le premier truc que j'ai fait est évidemment de sortir marcher, et le soleil était de la partie. Chose que je vais répéter plusieurs fois dans la journée!  Sinon, le déconfinement commence vraiment le 10....Aucune idée pour l'instant.
Jérôme : J’avais pensé à une queuleuleu mais je crois que c’est devenu une pratique deviante. Je vais sortir prendre l’air ailleurs…
Guéna : l’idée première est d’aller voir des ami-es ou de les accueillir chez moi, surtout les ami-e-s qui vivent en ville, dans des petits apparts,  et qui vont avoir besoin de prendre l’air sérieusement. J’ai la chance d’habiter à la campagne, dans une maison que je rénove, avec un jardin. J’ai énormément de taf donc j’ai été bien occupé pendant ce confinement, je n’ai pas vu le temps passer et bizarrement aussi dramatique que peut-être la situation, je fais partie de ces gens qui ont bien profité de ce temps d’arrêt. De plus, durant le confinement, j’ai pu passer un we chez des potes-ses qui habitent pas loin et j’ai accueillit dernièrement un pote chez moi.
Par ailleurs, Je vais aussi devoir reprendre le taf à partir du 18 mai, jusqu’à la fin de mon contrat fin juin. Je m’occupe de catalogage rétrospectif de vinyles dans une bibliothèque universitaire.  Et ouais, il y a des tafs cool.
Puis surtout, je dois me choper un véhicule car le mien est dead. J’espère choper un utilitaire qui pourrait servir pour les tournées avec mes groupes, car en plus de Bakounine, je joue de la guitare dans Cave Ne cadas.

qu'est ce que vous avez lu, écouté, vu, bu et bouffé, pendant ce confinement ?
Manu : Alors j’ai écouté un milliard de trucs et avec la radio j’ai pas chômé pour dénicher de la musique à écouter et partager. J’ai beaucoup écouté de la folk anglaise, irlandaise et écossaise, Jeannie Robertson, Dick Gaughan, Margaret Barry, Planxty… Du dbeat un peu quand même, Dissikerad  beaucoup !  Cro mags « Age of quarrel » que je découvre… Les Pogues encore et toujours… des lives de Joe Strummer au « Rock against the rich tour », le live « Live Jam » des Jam de sorti en 1993… De la oi !: Red Alert, Angelic Upstarts, Last Rough Cause… Beaucoup de punk basque aussi RIP en tête… Bref des classiques mais aussi des découvertes !
J’ai lu Thierry Pelletier avec « Cas rudes » : super bien, un livre qui m’a bien remué dans le contexte qu’on vit, ça cause d’un centre pour usagers et usagères de drogue à Mantes la jolie… « Rêves de gloire » de Rolland Wagner, une uchronie sur le rock underground dans une algerie restée française, c’est ouf ce livre… Une biographie de James Connolly, révolutionnaire communiste Irlandais et pour finir Nick Cohn « Carton jaune », un livre sur la passion de l’auteur pour le foot et les gunners d’Arsenal. Bien cool, ça m’a changé des livres que j’ai pu lire sur le foot et des autobiographie de leaders hooligans comme Cass Pennant ou Terry O’neill, j’ai bien aimé lire ça hein, mais bon des récits de types qui se tabassent et qui se contredisent par bouquins interposés c’est pas hyper intéressant à force… En films j’ai re-maté « Wassup rockers » pour le plaisir ! « My sweet pepper land » : bien cool, sur une histoire d’amour au kurdistan irakien. « Shellshock rock » : un doc sur les punks à belfast en 1979 ; « Le président est mort » un doc fait par des skaters de mon âge à Brest sur le fait de traîner et skater à Brest, vraiment bien aussi… D’ailleurs allez sur libertaire.net c’est une mine d’or pour les films et documentaires ! Et puis la radio des confins ! http://radio-des-confins.online/
Ronan : Dernièrement j'ai lu "Huye, hombre, huye" de José Tarrio Gonzalez, super bouquin écrit par ce mec qui aura passé presque toute sa vie dans les F.I.E.S (équivalent des Q.H.S en espagne). Je le recommande, y'a une éditon en français. Des séries comme Walking Dead, énormément de bouffe mexicaine, écouté des tonnes de disques (entre autre Heimat los, Ripcord, Heresy, SSD, Siege, mob 47....Bref du hardcore). Sinon du sport pour passer le temps (la chance d'avoir un vélo d'appartement dans l'appart!), et j'en suis à 7 semaines sans une seule goutte d'alcool..... Le confinement nous aura fait changer hahaha!!
Jérôme : J’ai lu « Le bourgeois gentilhomme sur les prétention hégémonique de la classe moyenne » d’Alain Accardo et « Allemagne 1918 : une révolution trahie » de Sebastian Haffner. J’écoute essentiellement du grindcore et du D-Beat. J’ai bu pas mal de carlsberg et bouffé beaucoup de lentilles…J’essaye de suivre la serie Walking Dead mais j’ai un peu de mal…
Guéna : J’ai écouté plein de zik que ce soit du punk, crust, HxC,  hip hop, du stoner et de la musique touareg, et d’autres trucs…et quelques soirées tout seul dans mon jardin devant un brasero, des bières, du cidre, du pastis ou du vin et la zik  à fond les ballons….en revisitant plein de classiques des années 80 et 90’s, c’était bien cool. Et pendant tout ce temps, j’ai mangé pleins de bons petits plats car j’aime bien cuisiner et m’offrir des plaisirs gustatifs.
Côté lecture, il y a entre autres :
- « Disorder : histoire sociale des mouvements punk et post-punk », de Paul Adwards, Elodie Grossi et Paul Schor, edité par Seteun, dans la collection « Musique et société ». Les auteur-es présentent des  « éclairages originaux qui permettent de comprendre ces gestes artistiques inscrits dans des contextes sociaux et politiques ». Je l’ai trouvé très intéressant et relativement riche, en étudiant des zones géographique bien connus comme l’Europe et les États-Unis mais aussi d’autres moins connus comme le Chine, l’ex-Yougoslavie, etc.… !
-  « Punks à singes : correspondance avec François Bégaudeau», que j’avais juste survolé jusqu’à ce confinement, et je l’ai trouvé excellent avec un niveau de réflexion, de description hautement développé, bourré de références. Notre ami de « Les âmes d’atala » nous livre ici un échange avec l’ex chanteur de Zabriskie Point sur fond de punk rock, littérature et luttes des classes. Le moins que l’on puisse dire, c’est d’une grande qualité.
- « Douze ans d’esclavage » de Salomon Northup, chez Entremonde. Ça raconte l’histoire de l’auteur, menuisier et violoniste noir du nord américain, né libre et qui fut kidnappé un soir de 1841, pour être mis en esclavage. C’est un livre poignant qui décrit sa condition d’esclaves et celles de ces frères et sœurs de misère. Une fois libéré, il s’est attelé à décrire l’enfer qu’il a vécu. Ce récit est choquant de par sa cruauté, et a aussi inspiré la trame du film de Steve Mac Quinn « 12 years a slave » (2014).
- « Coits » d’André Dworkin, sortit chez Syllepse dans la collection « Nouvelles questions féministes ». Dans ce livre est exploré « le monde sexué de la domination et de la soumission. Elle parle de « baise » dans un monde dominé par les hommes et de l’anéantissement des femmes dans la sexualité masculine ». C’est un livre intéressant et troublant. Souvent controversée dans les milieux féministes, Andréa Dworkin se positionne contre la prostitution et la pornographie, ce qui diffère d’autres approches féministes et  constitue des frictions qui traverse ce milieu. Personnellement, je n’ai pas d’avis tranché sur la question car certains arguments me parlent des deux côtés.
- Puis j’ai aussi lu  le dernier REST, gentiment envoyé par notre cher Blam Blam. On y retrouve des interviews intéressantes, notamment celle de Kial ?, autre groupe de D-beat de Jérôme, puis de Marcor d’aredje, de Romain « détruire l’ennui », des potes de mauriac, de Vince Emergence, etc.... Puis des kroniks, dont celles de blam blam.
Enfin, J’ai maté des films, séries, pleins de documentaires, et autres vidéos d’analyse critique sur la situation.  J’ai tchéqué régulièrement le site rennais Expansive.info pour l’actualité militante et analyses politiques. J’’ai aussi beaucoup bricolé à l’extérieur et à l’intérieur de chez moi, et c’est une bonne manière de se mettre à jour, le tout saupoudré de sport et de méditations, histoire de garder la forme physique et morale. ET enfin, j’ai bien avancé dans mon  potager, histoire d’avoir plein de bons légumes pour cet été.




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