16 juin 2021

SOMALILAND

 Je ne sais pas si cette intro est nécessaire, en fait tous les éléments importants sont dans l'interviou de Clément Goutelle ci dessous... Il nous présente donc la BD "Somaliland" qu'il a réalisé avec Max Lewko et Léah Touitou aux éditions Jarjille. Une BD atypique sous forme de biographie de la musicienne militante Sahra Halgan, figure de la résistance Somalilandaise.

 

 
Tu avais il y a de cela quelques années réalisé un reportage sur Sahra Halgan pour le magazine Barré, comment as-tu eu connaissance de son existence ?
En fait, tout est parti d’un dessinateur de l’équipe de Barré. Ça devait être en début d’année 2017. Il venait de croiser un ami guitariste qui lui explique jouer avec une chanteuse somalilandaise. Il me raconte l’histoire en me disant “ ça pourrait faire un bon sujet pour Barré non ? ”. Mais comme beaucoup, je n’avais pratiquement jamais entendu parler du Somaliland avant d’avoir rencontré Sahra. C’est resté dans un coin de ma tête. Et quelques mois plus tard, en préparant le numéro 7 de Barré, le dernier sorti, je suis allé la rencontrer sur Lyon, sans trop savoir ce que je pourrais en tirer. Je savais juste qu’elle avait participée à la résistance somalilandaise et chantait pour faire reconnaître l’indépendance de son pays : le Somaliland.


Dans son parcours, qu'est ce qui t'a suffisamment intéressé, interpellé, pour que tu fasses cette démarche ?
Le fait que le pays ne soit pas reconnu par la communauté internationale est déjà un fait intéressant. Qu’on en ait très peu entendu parlé en France en est un autre. Une résistante qui a soigné les blessés, chanter pour appeler à la résistance durant la guerre, puis expatriée et qui lutte aujourd’hui en chanson… en fait le sujet est pas mal quand même. Mais surtout ça collait parfaitement à la ligne éditoriale de Barré : “ Parler de tout mais surtout d’autres choses ! ”

 

 

Tu penses que l'article a eu un petit retentissement ? Des personnes t'en ont causé, ensuite ?
Pas mal de gens ont appris l’existence du Somaliland à travers cet article. Après ça reste Barré, une publication à 1 200 exemplaires et un site confidentiel. L’information n’a pas spécialement été reprise. Le “ retentissement ” comme tu dis, le terme est déjà trop fort. Ce fut limité, mais c’est toujours un petit grain de sable de plus.
Ce qui était marrant avec Barré, c’est que lorsqu’on sortait un Barré, on retrouvait très très souvent un sujet traité dans d’autres publications indé ou dans le Monde diplomatique suivant. Mais je ne crois pas que le Somaliland avec l’histoire de Sahra en fasse partie.
Sinon, dans les sujets qui avaient retenus l’attention, on avait celui sur la loi du sang en Albanie. Une association nous avait contacté pour nous dire qu’ils s’appuyaient dessus pour défendre le sort de certains Albanais invités à quitter la France. Rien que ça, c’est déjà plus que ce qu’on aurait espéré en lançant Barré !


Du coup, tu trouves pas ça un peu chelou
que ce soient des “ médias alternatifs ” qui, finalement, s’emparent de ce genre de sujets ?
Je ne sais pas. S’il y a des “ medias alternatifs ” comme tu dis, c’est bien que certains sujets ne sont pas suffisamment traités au gout de certaines personnes. Sur le Somaliland, Le Monde donne des informations quand il y a un conflit. D’autres en ont déjà parlé. Chacun son rôle peut-être.   

  
Et tiens, tant qu’on y est, ça te dit de nous exposer rapidement la situation hors-norme du Somaliland ?
C’est compliqué en quelques lignes. Je fais un résumé sommaire : suite à la dictature de Siad Barré une guerre civile éclate en 1983 en Somalie. A la fin du conflit, en 1991, le Somaliland, une région du pays, s’autoproclame indépendant. Il y a des élections, un président, un parlement, mais le pays n’est pas reconnu par la communauté internationale. Et cela dure depuis trente ans.

 

 

Comment est arrivée l'idée de transposer cette rencontre dans un autre média ? Et pourquoi la BD, spécifiquement ?
Comme souvent, c’est l'histoire d’une  rencontre. Pour défendre le magazine, on participait à des salons et fêtes du livre. A celle de Saint-Etienne, surement en 2017 encore, on s’est retrouvé à côté de Jarjille éditions. C’est une maison d’édition spécialisée dans la bd. Ils sont du coin aussi mais on ne se connaissait pas. On a échangé. Michel de Jarjille connaissait Barré et aimait bien ce qu’on faisait. Le numéro 7 venait de sortir. C’était justement celui avec Sahra Halgan. Je lui passe un numéro et lui montre l’article en question. Je lui glisse juste que ça me botterait bien de faire une adaptation bd du parcours de Sahra Halgan. Il a lu l’article et m’a dit de lui envoyer un scenario. Ça a démarré comme ça.

 
Tu avais des contacts, dans le milieu de la BD ?

Franchement, pas spécialement. Je m’y intéresse et j’avais fait quelques interviews d’auteurs que j’aime bien comme Vincent Vanoli ou Ivan Brun, mais c’est tout. Sans Michel de Jarjille, cette bd n’aurait surement jamais vu le jour !


Ben du coup, présente-nous un peu les éditions Jarjille !

Jarjille est une maison d’éditions fondée par deux Stéphanois. Il y a Michel, scénariste sous le nom d’Alep, et Serge alias Deloupy, un auteur de bd reconnu et qui dessine parfois la une de Siné. C’est une petite maison qui est top pour commencer. Ils prennent le temps, accompagnent le projet, conseillent, etc. Ils sortent des choses assez variées mais y’a plein de belles sorties ! 

 
Puisque tu en causes, tu conseillerais quoi, chez eux ?

Tracer d’Ulric est vraiment sympa. Les livres de William Augel sont bien marrants. Je conseille aussi bien sûr Sunu Gaal et Café touba de Léah Touitou. Sinon, Halfbob et Raymonde Howard viennent de sortir une bd qui l’air très très bien.

 

 

Comment s'est faite la rencontre avec les auteurs qui t'accompagnent sur ce projet, au dessin et story-board ?
Là encore, c’est Michel de Jarjille. Je lui ai envoyé mon scenario et il m’a dit “ banco ”. Je ne voyais personne pouvoir bosser dessus en particulier. C’est lui qui a trouvé le dessinateur : Max Lewko. A la base il avait proposé à Léah Touitou qui avait plein de projets à ce moment-là. Elle était intéressée mais n’avait pas le temps. Vu que c’était notre première véritable bd pour Max comme pour moi, elle nous a filé la main sur le découpage, le story-board. On a commencé à trois. Quand on a vu la plus-value qu’elle apportait, on lui a demandé d’aller au bout. Elle a accepté et c’était super parce que je suis persuadé que c’est bien mieux comme ça.

 
Mais alors, comment s’organisait le travail ? Comment se répartissaient les tâches ? C’est pas un peu galère de se retrouver à bosser à trois, justement ?
Léah bossait avec Max ou moi pour passer du scénario de base au storyboard. Elle a vraiment fait le lien. Je ne crois pas qu’il y ait une manière de fonctionner idéale. Pour nous, ça s’est fait comme ça. Ce n’était pas galère, au contraire, c’était le plus simple pour nous.

   
Le noir et blanc, c’était un choix qui s’est imposé naturellement, ou ça répondait à des considérations “ économiques ” (genre : c’est moins reuch !) ?
L’éditeur nous a proposé d’entrer dans la collection en noir et blanc. Esthétiquement ça collait bien et c’était aussi un peu plus simple pour une première bd. C’est déjà suffisamment long comme ça ! Et franchement, je trouve que ça colle super bien avec le dessin de Max Lewko. Certains ont comparé son trait à Craig Thompson, c’est dire.

 


 

Pour toi, quelles ont été les plus importantes difficultés pour passer d'un reportage de journalisme pur à un scénar de BD ?
L’article ne suffisait pas. Je suis allé à la rencontre Sahra et son groupe à plusieurs reprises pour compléter le tout. Dans la bd, on est allé beaucoup plus dans le détail. Il faut que tout coule, que tout se tienne, ni vu ni connu. Et ça c’est du boulot. En avançant, pas mal de petites questions anodines sont apparues. Heureusement, Sahra est restée très disponible. Ensuite le rythme, la narration, ça a été grandement facilité par la présence de Léah Touitou. 


Tu dis que Sahra est “ restée très disponible ” : de quelle façon a-t-elle directement influé sur le résultat final de la BD ?
Elle est surtout restée disponible pour valider certains faits, vérifier certaines informations et compléter certains trous qu’il pouvait y avoir dans l’histoire. Au fil des planches, il y avait toujours quelques questions, quelques points en suspens. 


Je sais que tu aimes Crumb, mais sinon, dans le 9eme art, ya d'autres trucs qui t'ont marqué ? Lire de la BD, c'est un truc que tu fais occasionnellement ou c'est plus que ça ?
J’aime bien ça mais je ne suis pas un inconditionnel. J’ai d’abord accroché par des classiques allant de Larcenet à Art Spigelman. Je suis aussi le travail de quelques auteurs. Ces dernières années, Fabcaro me fait marrer, mais je ne suis pas le seul. En fait, je trouve surtout que la bd est un bon media pour passer une information. Dans Barré on essayait d’ailleurs d’intégrer un article dessiné à chaque fois. 


Il y a une forme de petite “mode" de la BD historique / sociale ces derniers temps; tu penses que "Somaliland" s'inscrit dans ce courant, ou c'est une pure coïncidence ?
La revue dessinée et toutes ces bd reportages ont forcément joué. Inconsciemment, ça m’a surement permis de me dire : “ tiens c’est possible ”. Mais, on le faisait depuis le début de Barré en fait. On essayait toujours d’insérer un article dessiné. Franchement, la bd est un super media pour rendre accessible n’importe quel sujet. Par exemple, dans le premier tiers de la bd sur Sahra Halgan, il y a un passage historique et géopolitique sur la Somalie. C’est un passage obligatoire qui passe crème en bd mais si tu sors un chapitre là-dessus dans un bouquin, ça rebutera un paquet de lecteurs.  


Mais t’as pas peur que la BD soit un peu “ noyée ” dans cet océan actuel de BD “ didactiques ”, justement ?
Si et elle l’est. On a sorti la bd début septembre 2020. On a pris la décision courant aout où tout avait rouvert. Michel de Jarjille a dit “ on y va ”. On a dit “ ok ”. Quinze jours après les restrictions recommençaient. C’était mort. Les salons et festivals ont tous été annulés… Adieu Lyon, Paris, Angoulème… On a eu le nez creux ! 

 

 

Pour l’instant, tu as eu des “ retours ” sur la BD ? ça a intéressé un public plus large que celui du 9eme art, tu penses ?
Je ne sais pas trop. La période a été compliqué pour défendre le livre. Mais un lycée m’a contacté pour une intervention sur la bd Somaliland auprès des élèves. Ça c’est un public plus large… 


Il n’existe qu’un album (assez récent) de Sahra Halgan ? Elle joue toujours régulièrement ?
Oui ils ont connu comme tout le monde une année compliquée et de nombreux concerts annulés, mais ils jouent toujours. Ils font des tournées. Sahra revient du Somaliland quelques semaines avant. Ils répètent avant d’enchainer les dates. 


Et comment a-t-elle accueilli la BD ? Tu as eu son sentiment là-dessus ? Et plus largement, c’est pas un peu “ gênant ” pour elle de personnifier ainsi les luttes du Somaliland, à force ?
On lui avait présenté les planches et elle était déjà très émue. Elle nous avait dit que de voir sa vie en dessin avait quelque chose de magique. Elle était vraiment touchée d’avoir l’objet final en main. Après, je ne crois pas que ce soit gênant pour elle. C’est le combat de sa vie comme on dit.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire